De l’eau au robinet

Eaux polluées, eaux surveillées : une prise de conscience.

Les découvertes scientifiques, notamment les travaux de savants comme Louis Pasteur, permettent de mieux comprendre le rôle des micro-organismes dans la transmission des maladies par l’eau. On comprend ainsi que des maladies très contagieuses, comme le choléra, se répandent à cause de la contamination de l’eau des puits par les eaux usées.

 

Louis Pasteur a été professeur à la faculté des Sciences de Lille de 1854 à 1857, où il travaille sur la fermentation. Il est célèbre notamment pour la découverte du vaccin contre la rage en 1885.

 

Le choléra sur Paris par F.-N. Chifflart

Le choléra est une maladie mortelle causée par la bactérie vibrio cholerae. A l’origine présente en Asie, elle se répand dans le monde entier au 19e siècle. L’épidémie de 1832 fait 20 000 morts à Paris. Estampe sur Gallica

 

Les autorités administratives tendent à s’inquiéter de la qualité des eaux et demandent la réalisation d’enquêtes tandis que chimistes et médecins de l’Université s’y intéressent parfois de leur propre initiative. Les villes du Nord et du Pas-de-Calais sont en forte croissance et les industries s’y multiplient, rejetant leurs déchets dans les cours d’eau. En 1891 par exemple, Lille compte 200 000 habitants. La mise en place d’un réseau d’adduction d’eau moderne dans les années 1860 permet un net recul de la fièvre typhoïde.

La typhoïde est une maladie infectieuse causée par des bactéries. La vaccination contre cette maladie se répand en France juste avant la Première Guerre mondiale.

Les villes industrielles ont besoin de beaucoup d’eau pour fonctionner : il y a la consommation des ménages, mais également les besoins industriels et les besoins collectifs. L’eau sert aussi au nettoyage des rues ce qui permet de limiter les problèmes sanitaires liés aux déchets, à l’arrosage des espaces verts et à la maîtrise des incendies. La construction du canal de Roubaix, dans les années 1830, visait entre autres à fournir de l’eau aux usines, mais son débit devient rapidement insuffisant. Un premier réseau d’adduction visant à capter les eaux de la Lys est créé en 1857 mais il est déjà sous-dimensionné en 1874 et l'eau n’est pas vraiment saine pour la consommation humaine. 

Eau vue au microscope (1896)

Source Gallica (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64646805)

Traditionnellement, les habitants des villes s’approvisionnent directement dans les rivières ou dans des puits creusés vers l’eau présente dans le sous-sol des cours et des jardins. Or l’analyse scientifique permet de constater que ces puits sont tous pollués du fait de la proximité des égouts et fosses d’aisance, souvent trop peu étanches. Les puits roubaisiens et ceux des courées lilloises notamment sont très contaminés. 

Comme le note Ange Descamps dans sa brochure réalisée pour le compte de la Société industrielle du Nord de la France :
« Bien multiples sont les causes de souillures. Dans les courettes où la pauvreté a entassé les familles ouvrières, le sol est couvert de flaques d'eaux croupissantes, semé de légumes et de détritus, et l'entourage de la pompe est souvent un cloaque de putréfaction. Les ménagères y viennent nettoyer leurs vases, à quel qu’usage qu'ils aient servi, et jettent en l'étalant sans précautions leurs lessives dans le ruisseau voisin. Les maçonneries des puits sont en mauvais état, et leurs murs lézardés ne doivent pas opposer d'obstacle à l'infiltration des matières fécales de la fosse des lieux établis à proximité ».

Les courées sont un habitat populaire typique du Nord de la France. Des maisons de taille réduite sont groupées autour d’une cour, où on accède via un passage étroit donnant sur la rue. Les courées ont souvent une fontaine et des sanitaires collectifs. La grande promiscuité favorise le développement des épidémies.

Les déchets ménagers et humains, non évacués, ont pollué l’eau présente dans le sous-sol immédiat des villes. Il ne faut pas non plus négliger les déchets issus des animaux, notamment les chevaux, très présents en ville jusque à la banalisation des véhicules à moteur. Les ménages, comme les usines, rejettent leurs déchets dans les rivières ou dans les fossés. Les fossés entourant les remparts, détruits en grande partie en 1860, sont des décharges à ciel ouvert. 
En 1909, Paul Lecoeuvre, docteur en pharmacie de l’Université de Lille, réalise une étude sur les eaux de Valenciennes. Il constate que l’eau de l’Escaut n’est plus potable, à cause du rouissage du lin et de l’utilisation d’une branche canalisée en souterrain du fleuve comme égouts lors de son passage dans la ville.

Le rouissage du lin est une opération consistant à faire macérer les tiges de lin dans un cours d’eau ou une mare afin de faciliter leur utilisation par l’industrie textile. Elle pollue les cours d’eau en les chargeant de débris végétaux qui favorisent la prolifération des bactéries.

Au-delà du problème de l’approvisionnement, c’est donc le problème de la mauvaise gestion des eaux usées et des déchets qui est à l’origine de la pollution des villes. En 1892, Lille dispose d’égouts souterrains pour récupérer les eaux usées des ménages, mais ceux-ci se déversent dans la Deûle qui est très polluée dans la partie aval de la ville. Comme le note Ange Descamps dans sa brochure réalisée pour le compte de la Société industrielle du Nord de la France, « pendant l'été les eaux sont troubles, colorées et recouvertes d'écume d'aspect graisseux. ». Il décrit ainsi la partie inférieure de la Deûle lilloise : 
 « ici convergent les eaux des ménages et des industries multiples, les détritus, les immondices, qui forment, surtout en été, un bourbier immonde. »
A Roubaix et Tourcoing, les rejets industriels dans les cours d’eau atteignent un tel niveau que les autorités belges, dont le territoire est situé en aval, font parvenir leurs protestations officielles au gouvernement français par la voie diplomatique. 

Dans son enquête sur les rivières du Pas-de-Calais, Aimé Pagnoul, professeur au lycée d’Arras et inspecteur de la salubrité des eaux pour la préfecture, fait l’inventaire des industries ayant une influence sur la qualité des eaux et la nature de leurs rejets.  Distilleries et sucreries notamment rejettent leurs eaux usées dans les rivières, pouvant causer ponctuellement des morts massives de poissons. Les eaux ayant servi à l’extraction et au raffinage du sucre peuvent contenir de l’acide chlorhydrique et de l’ammoniaque. 

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